Péchés (Lecture poétique) - Texte intégral
I. | Des Ronds Dans L'Eau | IX. | Ma Conversation (L'Orgueil) |
II. | Rue Tchaikovski | X. | Violoncelliste (L'Envie) |
III. | Rue Dorée | XII. | L'Inconnue (La Luxure) |
IV. | Le Festin (La Gourmandise) | XII. | Coup De Froid |
V. | L'Orange | XIII. | Rêverie (La Paresse) |
VI. | Ma Boîte Aux Lettres | XIV. | Fin De Confession |
VII. | Juste Ciel ! (L'Avarice) | XV. | Péchés |
VIII. | Eclats De Verre (La Colère) |
I.
Des ronds dans l’eau
Des ballons, des cerceaux ;
Ces dessins crépitant
Dans les bassins, les étangs.
Des ronds dans l’eau
Le frisson des roseaux ;
Ce frou-frou, ces murmures,
Ces reflets de mercure.
Des ronds dans l’eau,
Au perron des crapauds.
Une terre d’épices
Enlaçait nos vibrisses.
Des ronds dans l’eau,
Escadrons de calots.
Le sarrau de la brume
Sur un étau d’écume.
Des ronds dans l’eau,
Au front de ce hameau
Les bâtiments s’ébrouent,
S’imbibent au courroux
Des ronds dans l’eau,
Un cresson au galop,
La mélodie des sens :
Ondée de renaissance.
II.
J’avais craché ces mots sur mon bloc à spirales,
J’avais lâché ces eaux en observant ceux qui
Cheminaient nonchalants sous l’étau vespéral,
Sous les blonds filaments de la rue Tchaïkovski.
J’avais passé sciemment la cité à la trappe
Eludant le ciment, les monceaux de fenêtres.
Aucune rue bardée de néons en varappe :
J’avais laissé l’ondée dans son berceau champêtre.
Les parapluies glissaient sur la houle assommée,
Vampire ou perroquet perlant sous les ondines.
Les baleines pressées ne cessaient de tinter :
Tribulations d’acier sur l’écran des vitrines.
C’était ce jour d’orgie, dernier soir de l’année
Et Sylvestre aujourd’hui pleurait sur les passants
Je traînais ma carcasse aux airs de forcené
En observant la crasse et l’hiver grimaçant.
Ma rue est une nasse, une plaie électrique,
Un étonnant paillasse où les longs édifices
Voient fleurir à leurs pieds des colliers de boutiques,
Où les cocons dorés débordent d’artifices.
III.
De la fumée et du barouf
Un garçon pouffe
Une fille piaffe,
Des gamins s’esclaffent
Face aux délirants motifs,
Aux prix prohibitifs.
Le cristal d’une carafe
Le sucre d’un Kougloff,
De la bouffe, des étoffes,
Des offres, de l’exclusif !
Sur le trottoir d’en face passe un calife,
Un bois sans soif, un gars massif.
En fait ma rue… ma rue… C’est
Une rue parsemée de pouffe
Une rue saupoudrée de bluff
Des artifices, de l’esbroufe
Tant sur les « keums » que sur les « meufs »
Rivalités de jolies coiffes
Et de badigeon water proof
Dans cette rue il est un taf
Etre le plus beau des pignoufs.
Sauf que, ce soir, la rue est délavée, lessivée
Cette nuit est la dernière, la dernière de l’année
Un soir d’orgie, un point d’orgue.
Alors j’ai mangé, moi aussi, comme un ogre.
IV.
J’ai lancé mon festin d’une simple salade,
J’ai ajouté, c’est vrai, sinon c’est un peu fade
De l’emmental râpé, un bout de cervelas,
Une amande effilée et des cerneaux de noix
J’ai ensuite épluché, jetant mon dévolu
Sur un gratin de courge, ô carré crépitant !
J’ai boulotté gaiement comme un ogre goulu
Tant cet îlot de crème était tendre et fondant.
Je l’ai servi avec une poêlée de cèpes,
Habillage alléchant d’un succulent gigot,
J’ai déchiré le gras, piqué comme une guêpe
Pour dénicher la chair au fond des escargots.
J’ai bu le Saint Amour et sifflé ce Fleury,
J’ai descendu je crois la moitié des Bordeaux.
Un aligot collant suivait une perdrix,
De l’ortolan rôti pour finir le Merlot.
Lentement j’ai fendu une écorce odorante
Et l’étoile au levain chantonnait sous mes doigts.
Le craquement doré et la mie soupirante
Laissaient mon estomac et mes sens aux abois.
Alors a commencé la valse des fromages,
De camembert en brie, de tome en Picodon.
J’ai laissé libre cours aux appétits volages :
Qu’ils participent tous à tendre mon bedon !
Ce Paris-Brest aussi à la crème indécente
En conclusion sucrée d’un soir délicieux.
Je me suis endormi jusqu’à l’année suivante
Les mains sous la bedaine et le visage heureux.
V.
Au matin du mardi le monde était le même
Le ciel était livide et les visages blêmes
En dépit du festin, j’ai suivi mon étrange
Tradition du matin, déguster une orange.
Chaque jour que dieu fait les gestes sont les mêmes
C’est devenu mon rite, un petit théorème.
Du bout de mon canif je creuse un équateur
Ecartant d’une plaie l'écorce planétaire
L'acidité s’enfuit face au profanateur
En un zeste et un tour, voici deux hémisphères !
L’outil se plante alors sur le sommet de l'astre
Découvrant les couloirs, méridiens-boutonnières.
Il sillonne le fruit, dessine le cadastre,
Donne au grain de l'agrume un air de planisphère.
De mon ongle gourmand je froisse les montagnes
Ote l'épais manteau, les frusques inutiles.
J'invoque autour de moi les essences d'Espagne;
Souvenirs de noël en nuées volatiles.
L'étoile est prête alors à la dégustation
Et son magma se scinde en croissants de soleil.
Mon orange me ceint, douce récitation,
Rituel au matin sur le mont des merveilles.
VI.
Ce matin, ce mardi, le monde était le même
Le ciel était livide et les visages blêmes.
Une angoisse est montée en passant devant elle
Celle qui sans un mot, sans un son me harcèle :
Ma boîte aux lettres. Je n’ose plus ouvrir…
Je n’ose plus ouvrir
La porte de ma boîte aux lettres
J’ai peur de découvrir
Les poisons qui s’y enchevêtrent
Ô sombre flot de prospectus
Salée de sournoises factures
Et toujours les mêmes laïus
Dégoulinant sur mes chaussures !
Voici encor cette brochure
Flanquée du menton d’un gugusse :
Expert coiffure et manucure
Dans votre « salon de Vénus »
Toujours ces monceaux de papiers
Pour des livraisons de pizzas
Au fond de ma boîte à courrier
C’est la guerre des Marguaritas.
Voici la lettre politique,
Sourires de Monsieur le maire ;
Rangées de dents démagogiques
Sous un discours de visionnaire.
Voici les vautours du trésor
Et voici ceux de l’énergie
Une vraie boîte de Pandore
Qui me souffle ses élégies
VII.
Mais ce mardi grisé par la nouvelle année
Mon humeur était douce et ma main se fit leste,
J’ai libéré les flots, la fange accumulée,
Manqué de me noyer sous ces oublis funestes.
Veuillez vous acquitter du montant ci-dessous
La somme est à payer avant le 2 janvier
Vous avez grand besoin d’un sorcier marabout
Pour que la vie vous choie, qu’elle tombe à vos pieds.
Venez voir aujourd’hui, c’est la foire aux affaires
Donnez nous votre argent, signez et soutenez
L'organisation à but humanitaire.
Si vous ne payez pas vous serez majoré !
Ils étaient des milliers, il en venait partout !
Ils sortaient de leurs trous pour venir me piller
Un gamin en haillons m’a demandé des sous
Deux pompiers, un facteur et leurs calendriers
Vous n’aurez rien de moi, insignifiants rapaces
Ce soir j’ai mit sous clef mes cent sous de fortune
Vous pourrez bien vous plaindre et hurler à la lune
Jamais de mon trésor vous ne verrez la trace.
Profiteurs ! Voleurs ! Assassins, juste ciel !
VIII.
Le lendemain matin, au cœur de ma boutique
Une femme est entrée, en quête d’un jouet
Ce personnage en vogue infesté de plastique
Le bois m’a-t-elle dit, c’est un peu désuet.
Quelle immonde hérésie, Quel infâme toupet !
Pourquoi suis-je abonné à de telles bourriques
Mon sang s’est dilaté d’une rage homérique,
J’aurais du la rosser, rabattre son caquet.
J’ai d’entières légions de beaux soldats de bois
Des divisions laquées du plus bel acabit.
Un cheval à bascule élégant qui parfois
Paralyse un bambin au regard ébaubi.
Mes bataillons boisés sont de fiers fantassins
Entraînés à subir les assauts de vos gosses.
Tombant au champ d’honneur devant vos matassins,
La babiole à deux sous qui d’un rien se cabossent.
Et voici la harpie, l’innommable mégère,
Venue ouvrir ici son museau de vipère.
J’aurais du la saigner ou lui tordre le cou
Lâcher enfin la laisse à ce brûlant courroux.
Sont venus s’ajouter les voisins du premier,
Leur musique assommante à la presse hydraulique,
Ces déchets laissés là au pied de l’escalier
Cet énervant débat d’inepties politiques.
Ce café renversé, cette langue mordue
Ce pinard bouchonné, cet arbitre vendu.
Mon gratin Dauphinois oublié dans le four
Et la base VPS qui se remet à jour
Toujours, toujours…
Mon sang n’a fait qu’un tour et mes nerfs ont cédé
J’ai fait craquer le bois et battre la tempête
Epiderme écarlate et lucarne étoilée
La colère en éclat inondait la moquette.
IX.
Débris. Ordures. Mépris. Fêlures. Allures. Dépit.
Telle était la cité, sa vie et son essence.
Comme un aggloméré de tension et de stress
Des grains de solitude ou d’infinie détresse,
Perles emprisonnées dans un espace immense.
Le citadin s’angoisse, il se presse et navigue
Il cingle silencieux et progresse en aveugle.
Il s’enlise affligeant au fond de sa fatigue :
Voyez celui qui prie, voyez celle qui beugle !
Nul ne voit l’étendu du génie virtuose,
De l’âme audacieuse illuminant mon être.
Ils traînent dans les rues fardés de leurs névroses,
Des fêlés par milliers dérivent, s’enchevêtrent.
Alors je suis resté au fond de ma tanière
Bavardant tout le soir oubliant le coucher
Un échange amical avec ma passagère,
Avec les reflets bleus des eaux de ma psyché.
Nous avons souligné mon immense importance,
L’élégance élancée, l’ampleur de mon talent.
Elle a même évoqué usant de pertinence
Mon charisme assassin et un brin nonchalant.
Nous avons débattu de mon bel intellect
De mon lieu d’origine –élément important-
Mon univers de bois, mes relations selectes
Jusqu’à l’aube orangée du vendredi naissant.
Et puis, le vendredi… (silence) Tout s’est dégonflé… A cause d’elle.
Elle, eux… Mon voisin, ma voisine… (silence).
X.
Vendredi j’ai plongé dans la vie du voisin.
Le visage écrasé au coin de mon carreau
J’ai vu son nid de soie, ses élans d’armoisin,
Ce vernis qui rougeoie sous le poids des rideaux
J’ai vu les chandeliers, les lustres alanguis,
Le bas d’un escalier au style alambiqué,
Odalisques d’airain et masques de Bangui :
Guignolesques embruns inondés de chiqué.
Ma douce apparition, comme à son habitude,
Etait installée là près de la baie vitrée.
J’étais –suffocations- face à sa plénitude,
Un effrayant forçat sur ma peine empêtrée.
Sa robe était plissée, suspendue à mi-cuisses
Et ses bas écartés ouvraient une nacelle,
Un arc de nylon, une baie protectrice
Pour les vaux et vallons de son violoncelle.
Les vibratos dansaient sous ses doigts délicats
Allumant ses versets à la peau de l’archet.
Les accords à tâtons lançaient un reliquat,
Un brin d’oscillation dans ses cheveux de jais.
C’était un corps à corps, la valse sensuelle,
Les reflets blanc et or d’une étreinte muette.
Quand mes yeux s’égaraient par-dessus la venelle
Elle était mon sonnet, la poésie parfaite.
XI.
J’ai pourtant égayé mes litanies tardives
Au soir du samedi quand la cité s’éventre
Ô liane inconnue, élégante et lascive
Venue de lover là dans les plis de mon antre.
Mais pas de bas nylon, aucun violoncelle
Elle n’était pas la belle utopie de mon cœur.
J’ai oublié un temps le tango de dentelle
J’ai dégusté le miel et consommé l’ardeur
D’une peau, sous ma langue un nombril à bascule
Tanguait, abandonné à l’étau de l’étreinte.
Aux iris incendiés les frissons se bousculent
Quand ma paume se tente et les ventres s’éreintent.
J’ai goutté les marées, les assauts de désir,
Le ressac électrique à nos corps enlacés.
Récif incandescent parsemé de soupirs,
Fuyez aux traversins mes lèvres essoufflées !
Que mon orage éclose, implose de plaisir !
Les spasmes épuisés d’un cyclone indécent.
Que les vents de Vénus tourbillonnent, chavirent,
Qu’ils soufflent sur nos yeux leurs feux éblouissants !
XII.
La neige a cette nuit envahie les toitures
Saupoudrant les quartiers d’un léger sucre glace
Elle a choisi ces temps où la ville rêvasse
Pour lui passer au cou sa blanche courbature.
La neige… La neige (ton fatigué) soupir !... La poisse !
Les élans d’un poète en telles circonstances
Auraient parlé d’étole et de manteau divin
Ils auraient vu la joie poudreuses des bambins
Dénichant dans la neige une magnificence.
Mais bon, je sais ce qu’il en est. Dans une heure à peine…
Tout de suite, bientôt, tout sera labourée :
L’haleine des autos et le pas des passants.
L’étoffe des quatrains de l’hiver frémissant
Ne sera qu’un gluau, boueux, dénaturé.
Alors ce matin là, terré dans ma tanière
J’ai évité les bras de ces plumes traîtresses
Car si ces belles choient tout en délicatesse
Nos joues se voient piquées de flèches carnassières.
Je suis donc resté, alité, j’ai pu offrir avec joie mon dimanche
Aux émois cotonneux de mes terres oniriques.
… j’ai fait don de mon corps…
XIII.
J’ai fait don de mon corps aux hydres du sommeil
A l’édredon douillet, à ces vaux et merveilles,
A ce monde éthéré qui s’étend sur mes draps
Quand Morphée m’offre enfin l’infini de ses bras.
J’ai brassé les embruns, enlacé les nimbus,
J’ai navigué serein sous les yeux de Phébus
Qui dénicha pour moi ces milliers de nervures
Ces chemins quadrillant le creux des couvertures
J’y ai croisé la foudre et l’étonnant fracas
D’un régiment complet : deux cent soldats de bois
Eventaient véhéments leur élégant vernis
Labourant les gravats d’une sente étourdie.
J’ai vu ce bel arpège aux entrelacs de tiges
Potirons orangés, verts, à perte de vue
Une forêt d’archets, un instant de vertige
Quand le vent se pourlèche et lance son raffut.
J’ai vu dans les cieux s’étirer les nuages
Les deniers ténébreux de ses bas obsédants.
Souriant, délassé, détendu sous l’orage,
Mon dimanche a filé sur ce bel océan.
(Silence)
XIV.
Voilà mon père, je vous ai tout dit…
Voyez comme j’ai brûlé, voyez comme j’ai joui
En une semaine seulement
J’ai fait tout bonnement
Le grand chelem.
Hé bien, croyez moi ou pas, il s’est gratté le crâne, il a soupiré, m’a lancé un regard diaphane et m’a déclaré son immense ennui d’être un gardien de la foi au cœur d’une foule profane.
Il m’a dit qu’il entendait ça tous les jours, qu’aujourd’hui ses ouailles, même les plus fidèles se vautraient dans la fange, devenaient des canailles, forniquaient comme des boucs et gonflaient leurs poitrails come des kystes d’orgueil.
Vous êtes même plutôt clean mon garçon me lança t il dans un clin d’œil…
A mon avis le type était au bout du rouleau.
Mais cette semaine, au final… n’était pas si mal.
XV.
J’ai avalé lundi des plâtrées d’aligot
De l’ortolan rôti et de larges portions
D’un îlot gratiné de courge et de gigot ;
Mon estomac lesté jusqu’à la rémission.
Mardi j’ai mis sous clef mes cent sous de fortune,
Ces deniers amassés, ma sève d’ici-bas.
Ils pourront bien se plaindre et hurler à la lune
Ils n’auront pas le moindre écu de mes mi-bas.
Au creux de mercredi j’ai délié ma rage,
J’ai semé l’incendie sur des éclats de verre.
J’ai versé mon courroux dans un bruyant orage ;
Du rouge sur mes joues comme un bouquet de nerfs.
Jeudi j’ai dégusté ma délicieuse âme,
L’élégance élancée, l’ampleur de mon génie.
Au miroir j’ai prisé cette peau qui se pâme,
Je me suis délecté de cette symphonie.
J’ai plongé vendredi dans la vie du voisin,
Ses faux airs de dandy, d’affable profiteur.
J’ai bavé sur les ors de son nid d’armoisin
Autant que sur le corps de l’élue de son cœur.
Samedi j’ai laissé mes lèvres en fusion,
Ma tendresse essoufflée sur une fleur offerte.
Quand l’étau d’une étreinte attise nos pulsions
Quand le ventre s’éreinte et la raison déserte.
Dès lors j’ai pu offrir le dimanche à Morphée,
Céder à l’élixir de ce cher édredon.
Mes jalousies de feu ont eu beau se farder
Je suis resté radieux au fond de mon cocon.