Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Journal de confinement / Jour 6: 22.03.20

Publié le par Grégory Parreira

 

 

Je regarde le silence dans les yeux, tout un monde restreint qui s’étire et s’apaise. C’est le règne des objets dont nous ne sommes que les passagers temporaires. La station en altitude d’un appartement avec vue sur les tuiles, la gorge des gouttières, chemin de ronde granitique entre les cheminées. Le ciel est infiniment clair, gouffre de bleu uniforme qui s’infiltre en cascade sur les précipices de mon bureau. Sa vigueur semble inamovible, il fête son avènement, peut-être sa liberté d’écraser ses larges paluches de flammes sur le cuir d’une cité esseulée. Mon repaire trône comme un continent et sous le calot de sa coquille il vibre, écosystème complexe dans sa séries de membranes perpendiculaires. Ici la cuisine, le salon, la chambre sont des péninsules qui s’imbriquent, les failles sismiques sont imperceptibles perdues dans une découpe de lino ou le baillement d’une plinthe. Les objets, du grand navigateur au modeste guetteur d’ornement s’observent, se toisent. Ils parlent tous une ponctuation différente, ils racontent tous en secret leurs récits épiques, en font des tonnes et parfois s’inventent quelques destins glorieux. Onze ans que je dors ici, que j’y enregistre mes décodages du dehors, que j’y accumule les coutures de mon patchwork chronologique. Dans le ralentissement du monde je vois précisément cet agglomérat, la superbe empreinte digitale qui étend là ses veinules, ses contorsions. Un seul coup d’œil sur les étagères, contre les murs et j’ai le sentiment de pouvoir me suivre à la trace. Là dans le repli de ma synapse, dans un proton unique de chambre voguant sur le tissu urbain je peux tout nommer, tout tracer. Un savoir domestique qui cagole, qui rassure. La conscience que ce carré d’espace a toujours été pour moi une respiration dans l’apnée du monde.

Commenter cet article