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La mort d'un Harpagon

Publié le par Grégory Parreira

D'après la mort de l'avare de Jérôme Bosch (vers 1500 - 1510)
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La peau livide, une maigreur sèche comme une seconde couche de certitude et le tout glissé dans une lave de soie rosée. Les défenses tombaient, le corps se faisait diaphane, ouvert à l’inévitable conclusion. La chambre désormais n’était qu’une attente, la superbe élection des cieux qui -à l’heure grave- laisserait son âme s’élever au delà du plafond, vers une éternité acquise de haute lutte. La foi est une torsion de l’esprit, un réel contorsionniste qui s’embastille volontairement en vue d’une récompense fantasmée, rendue réelle par la répétition et les menaces.

 

Il se savait homme de bien, front de vertu. Il sentait la toile de bure, la main chaude de l’ange sur son épaule, il lui semblait pouvoir goûter l’air de ses ailes sur sa joue résistante. Homme de bien et d’industrie, des valeurs cardinales partout : dans la lourdeur des portes, dans la teneur épaisse des rideaux de velours, des colonnes de bonté aux chapiteaux fleuris, une lèvre sur la nuque du seigneur, au plus près des on-dits, des clefs de réussite d’une société tumultueuse ; et il en gravissait le sommet, les neiges éternelles qui introduisaient communément aux perpétuels délices.

Cette fièvre il la tenait depuis longtemps, presque depuis toujours, elle sentait fort la famille et les habitudes, elle se gangrenait de branches et de sang dynastique. De sa vaste coquille de marbre et de brocard
s, dans sa chrysalide de myrrhe et de bois précieux il ne voyait plus les conquêtes, il ne résolvait plus les écrasements, les couteaux tirés, les inhumations d’archanges statufiés à même leurs taudis, criblés de puissance. Tout cela était entré dans la cadre serein de la nature, dans l’ordre des choses ; et le coffre -à ses pieds- cette gueule débordante d’aiguières, de bijoux d’or et d’argent, ces sacs luisants de valeurs pétrifiées d’échappements moraux à la chaîne n’auraient aucune prise à ses entrailles. Ici vivait la foi toute pure, le mensonge à l’intérieur même d’un homme.

Les draps, les doigts de l’ange comme une absence de douleur sur la clavicule, à côté de lui un prêtre en robe verte triturait les boules de son chapelet en marmonnant. La charpente grince, la soie chante quelques louanges et soudain le loquet se déhanche, cœur battant (encore… un peu) le divin qui envenime son épiderme, une lumière douce entre les muscles. Il sait.

 

La porte s’entrebâille lourdement et la lugubre tige blanche apparaît, un spectre de calcaire, un rictus de démence enroulé dans la lividité cadavérique d’un drap. Toute cette silhouette semblait vouloir épeler les lettres du trépas, deux gouffres noirs en guise d’orbites, de quoi perdre n’importe quelle âme, de quoi damner n’importe quel oracle. Entre l’aiguille de ses phalanges le spectre tenait les ors d’une immense flèche, le croc acéré du jugement. Un doute passa dans les yeux du lit, dans ses poumons malades. Le doute de trop -pour la foi un doute est toujours de trop-.

 

Des tapis, des plinthes, des paquets sortirent quelques dizaines de rats aux longues queues et aux ailes de démons. Contre toute attente le prêtre dévérouilla le grand coffre et livra le butin aux rongeurs du Styx, dents de canif dans les sacs d’or, main basse sur l’argent. Le feu devint glace sur son épaule. Un doute de plus en plus béant, une blessure fatale sur le socle de sa vie. Au pied du lit, dans un plissement de velours un petit être infernal lui tendait un sac : le prix de son péché.

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