Les deux cigarettes
Bonjour les gens,
Aujourd'hui, le service "histoire" du citadin filiforme a le plaisir de vous présenter un projet qui couvait depuis longtemps dans un petit tiroir intérieur. Je vous invite dans l'enfer des tranchées de la première guerre mondiale, au coeur du fortin de Beauséjour.
Bonne lecture!
Le soleil approchait sur la pointe des pieds
Lâchant ses ricochets aux rus de la Champagne
Constellations d’odeurs effluves de rosée
Le matin moissonneur inondait la campagne.
L’orage avait valsé dans les bras de la nuit,
Fantassins étoilés d’averses écarlates ;
La furie mécanique, la sanglante hystérie,
Quand l’humain pathétique redevient un primate.
Les teutons n’avaient pu atteindre Beauséjour
En dépit des obus, de l’effrayant fracas
Et malgré tous ces gars, ce sang dans les labours
Notre front n’avait pas avancé d’un iota.
Il avala d’un trait son café du matin
Attrapa son paquet, sa ration de fumée
Aujourd’hui dans la cour, au ventre du fortin
Un gamin sans bravoure sera exécuté.
Le gosse avait failli refusant de combattre
Et la règle est ainsi : la trahison n’écope
Que du vent des gâchettes sous une aube verdâtre.
D’un élan d’allumette, il embrasa sa clope.
Il se tenait debout contre le mur d’enceinte,
Libéré de son joug, livré à la mitraille.
Il voulait par honneur dissimuler ses craintes,
Ces lassos de terreur qui pressaient ses entrailles.
Un officier tendit un paquet de tabac.
Comme une cérémonie, le paraphe étouffé
D’un jour qui ne fera que passer ici-bas,
Le jeune homme enflamma ses ultimes bouffées.
Le soleil approchait sur la pointe des pieds
Lâchant ses ricochets aux rus de la Champagne
Constellations d’odeurs effluves de rosée
Le matin moissonneur inondait la campagne.
Un mégot écrasé au creux d’un cendrier
Un autre abandonné parmi les gravillons.
Dans l’aube amidonnée aux senteurs de mûriers
Un ordre fut crié pour six coups de canons.
Il versait à nouveau du café dans sa tasse
Quand il vit un halo délaver Beauséjour.
Sur sa joue s’enroulait une larme de crasse,
C’était son frère cadet qui gisait dans la cour.