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Evariste Gras

Publié le par Grégory Parreira

 

© Virginie Delahaie

 

Il est arrivé par surprise, furtif et sournois. Les vacances avaient abandonné la place Evriste Gras. Quelques cageots de poivrons et d'aubergines pliaient bagages : tubes de fers entassés, échanges de voix autour des fourgonnettes. Auguste et Louis Lumière dominaient les trois battants du cinéma, les platanes déjà flétris par les vagues salées, râpes d'écorce figées sur des lucarnes de terre. Pourquoi ne laissait on que si peu d'espace à ces fantômes urbains systématiquement cernés de pavés à fleur de tronc. Seul le petit café balbutiait les remous du vivant, un duo de commerçants en fin de représentation attendait le boucher qui bouclait son local. A l'intérieur long zinc, haut plafond et cliquetis lumineux d'un flipper Walking Dead secoué par une adolescente au cheveux de seigle. Couverture d'or sur la terrasse, la fin de matinée se baignait de rayons.

Nos deux traitres sont arrivés, jaunes, laiteux, souples comme une confiture d'anis, nimbés du halo de fraîcheur qui encourage les papilles. Nous avons flairé le piège et dans un grand ruisseau de carafe nous avons dilué la crème. Le piège était trop grand. Evariste Gras nous a saisi, nous avons gambadé sur d'autres sphères, dans d'autres venelles beiges aux portes érodées. Nous avons goûté le tendre roulis de cette mer sans marée, le berceau des muscles le pied au plancher -pavés de sel sous le ventre-. L'air effarouchait nos joues, il semait du rouge dans mes yeux-piscine, la poussière des collines en lutte face à l'immensité. Nous avons dérivé comme ces voiliers de plaisance sans horaire, coupés du reste des hommes. Tendres lames. Gîte des semelles. Un bras sur le cou. Léger sourire niais servi à l'azur sans nuage.

C'est Sadi Carnot qui a recueilli nos corps onduleux : un retour d'entre les morts. Notre victime lyonnaise venu épauler les gones en dérive spatiale. Derrière le paravent d'une vielle église, un cliché, piqué de parasols, guirlandes multicolores des linges aux fenêtres -sûrement secs dans la seconde-, fontaine gazouillante, ruisselante, HLM/abreuvoir pour une colonie de pigeons sans peur capables de se poser au bord de votre assiette pour chaparder un fragment de pain ou une lampée de saumon. Nous, nous avons rompu le sortilège d'Evariste Gras sur le flanc d'un poisson de roche, sur une baratte de beurre et la caresse piquante de l'aneth. Nos têtes sont rentrées à bon port.

 

La Ciotat, 14/09/17

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