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Tuyauterie

Publié le par Grégory Parreira

Photo:Pixabay


Ploc... ploc… ploc.. ploc… Un lourd martèlement qui tenaillait le crâne, qui absorbait mon nid jusqu'au plus profond des poutres ; cette goutte qui vous fend les côtes flottantes, qui déchire le sommeil d’une soudaine clarté, vive, irréversible. C’était à pleurer cette mélancolie de robinet, il semblait frappé d’agonie comme lâchant son dernier cri à Roncevaux, vaincu. Il éructait régulièrement son ramdam d’eau sanguine, la bave aux lèvres il sortait de ses gonds et de sa fonction. (aucune autorisation n’avait été délivrée). Il était le pic, l’écharde, le gravier dans mon bassin clair et non content d’avoir versé dans la saccade, dans la pire des rythmiques le voici qui prenait de la voix : une plomberie qui chante -à n’importe quelle heure de la nuit du jour- dans des modulations calcaires, des hoquets de pression qui cinglaient le vide comme des bulles de profondeur. On sentait la vie du dessous palpiter : les éviers du grand monde, les baignoires autoproclamées du luxe, de la nacre bleue plein les espaces. On captait des odeurs de volumes, de la moulure, du premier du second empire, des galaxies ignorées s’ignorant d’ailleurs aussi avec juste une épaisseur de cloison entre elles ; et lui se tordait là, il me sifflait toutes les aiguilles du bas, il incisait la paix celle que je planquais bien au chaud sous les caresses du zénith. J’avais modelé mon confort, un Eden de réflexion au cœur du silence, au flanc des stratus et des martinets. Régulièrement j’y oubliais la fuite, toutes mes volontés, ces embouteillages d’âmes, ces tuyauteries infâmes dans lesquelles les fronts se cerclaient cavalcades à l’unisson. J’oubliais un instant la rue -cinq étages plus bas- la rue et ses gonflements, ses dilatations d’horaires, ses prix lézardés, ses bitumes de soldes cicatrisés. Elle ne passait les parois de mon aquarium qu’à la faveur d’une fanfare en délire ou un cri d’enfant plus strident que les autres. Le reste du temps je ne voyais rien, moi l’original, le marginal de centre urbain, celui qui contemple avec les oreilles, celui qui se sent en sursis pressé par les néons, par les épiceries fines, leurs boulangeries aux pains-trésors, aux recettes de compétition. Ils nous prennent sous les aisselles tous ces ardents, tous ces fiers. Ça progresse lentement mais ils nous virent, éviction lente mais certaine. J’avais moi aussi envisagé la fuite. J’avais d’ailleurs trouvé des prés sereins, des havres qui me semblèrent exempts de toute folie ; mais ce n’étaient là que d’autres cellules, tapissées de bonheur -certes- mais d’un bonheur déconnecté. L’école buissonnière prenait maintenant des profils d’utopie. C’eût été plaisant de chanter le dehors mais je ne voyais plus les barrières, les frontières se floutaient sous les ondes hertziennes. A la télévision l’algorithme a dit qu’il ferait beau et que c’était une bénédiction. Il fallait en profiter pour admirer les nouvelles diodes, la grande ourse fraîchement repeinte. Alors on l’a fait. Avec comme un vide au cœur.

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