Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Chaos d'une étoile

Publié le par Grégory Parreira

Voici un petit texte écrit pour la lecture donnée par le Syndicat des poètes qui vont mourir un jour le 13/11/17 sur le thème du Mois Libertaire

 

Photo:Pixabay

____________________________________________________________________

Je ne comprends pas monsieur -le commissaire- tout a couru comme flamme vive, je n'ai rien vu venir. Aucun signe avant coureur, rien !

C'est un homme très bien -vous savez- sous tous rapports. Il tend toujours son buste au ciel, dressé comme oiseau d'étang, toujours prêt à se piquer d'un mouvement précis pour cueillir l'harmonie argentée, frétillante.

Et puis, il a baigné dans les plus belles dynasties génétiques -vous savez- un sang de rigueur avec quelques effluves de Russie collées au mollet, du Bolchoï dans la voûte plantaire, de la bonne famille, sans tache, celles pour qui discipline n'est pas un vain mot. Bon c'est vrai que je l'ai vu parfois manquer un ballotté ou légèrement étrangler un entrechat en filant à la salle de bain, mais il faut nous comprendre, le petit alcool du soir ça nous détend, c'est comme une récompense pour la journée accomplie, ça nous fédère en quelque sorte. On abuse pas -hein- la télévision nous a bien prévenu des risques et on ne voudrait pas la mettre en rogne.

 

Mais là, nous n'étions qu'aux premières heures du jour -monsieur le commissaire- aucun assouplissement, il n'avait même pas descendu son café et sa dose de colophane quotidienne. Pas chassés, un soubresaut, retiré pour aller écarter les rideaux de la fenêtre et le chaos : tout son monde a déraillé, ondulations de fessiers, d'épaules, trépidations des membres, de la nuque -rien qui ne soit référencé dans les registres officiels-. De la cambrure, d'effroyables syncopes de hanche à la lisère du coït. Ça dégoulinait de tribal -monsieur le commissaire- de l'explosion vulgaire, prolétaire, ça sentait l'homme bas dénué des belles volutes de la civilisation, un homme hagard, sans dieu... (hoquet de stupeur).

 

Je n'ai pas su réagir. La stupeur ça paralyse -vous savez- c'est comme une défense naturelle, un réflexe d'autruche. On se dit : Plus un geste ! L'indicible va sans doute nous oublier, je vais me fondre dans le décor et tout sera avalé. Mais on oublie le retour d'émotion, on oublie nos fondations qui retendent leurs cloisons comme un second passage de couteau. Alors je n'ai pas bougé et son corps s'est extrapolé : rotations, balayages, la fenêtre semblait nourrir le roulis de ses muscles, la pièce se tendait d'attaques, de têtes tournoyées, il semblait imprimer sa folie aux motifs abstraits du tapis. Ruptures, bras cassés, déliés, des yeux vides en pleine lecture intestinale, la chevelure flottante. Et le plus stupéfiant dans cette tornade déviante ce fut son sourire, un éclat de jouissance inamovible qui empoignait tous les meubles (le bahut de tante Marceline, les napperons, les assiettes peintes) je ne lui avais jamais vu un tel sourire -d'ailleurs il n'est pas de ces hommes que l'on peut qualifier de souriants-. C'est son profil qui m'a plu -oui je sais, dit comme ça ça fait un peu chasseur de tête- mais il portait les senteurs idéales, le collant strict porté avec droiture et majesté, la carcasse robuste des silhouettes sculptées par le travail. Le pas de deux familles, miroir indubitable, mon reflet, une grandeur d'homme à hauteur d'évidence.

Il m'en a coûté de venir ici -monsieur le commissaire- ce fut un écroulement ce matin là. Comme un abîme soudain. Il a tournoyé longtemps, dans un désordre innommable et au fil des minutes le jour semblait lui coller à la peau. Un phénomène inexplicable, son épiderme luisait depuis les profondeurs, un astre en naissance qui vibrionnait par ses ongles et ses mâchoires.

 

Et puis, il s'est éteint aussi soudainement qu'une bougie que l'on souffle, sa traînée de fumée haletante en rebond sur sa poitrine. Il s'est versé du café, le plus naturellement du monde. Un long silence a suivi. Je triturais la nappe, la voix morte. Sa langue a fendu l’air : Les bâtons sont faits pour être rompus m'a t il dit tu devrais essayer ! Ce désordre qui peut passer sous la chair, c'est une vraie discipline que d'en fixer la posologie. Puis il est parti, un léger saut de biche, un balayage de jambe pour prendre son manteau et la porte qui claque. Je suis restée un long moment dans la résine de ma tasse de café.

Comment monsieur le commissaire ? La musique ?

Il n'y avait pas de musique, je crois...

                                                                 Je crois qu'il n'en avait pas besoin.
 

Commenter cet article