Lettre à monsieur R
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Bonjour à tous !
Voici une lettre écrite en 2015 et à destination de Monsieur R -comédien-. Remise en main propre l'année suivante à Brangues, dans la maison de P.Claudel elle n'a pas eu l'honneur d'une réponse. Il y a prescription, je la partage donc.
Cher monsieur R,
Coulant ma vie dans les ruelles de Lyon
Et d’Isère du nord j’ai eu l’occasion
De venir plusieurs fois dans l’enceinte de Brangues
Goûter quelques festins ciselés de la langue.
Votre Arnolphe d’abord, ce cocu magnifique
Tirant du grand niais sa sublime musique
Et Horace, et Agnès puissants de drôlerie
Nous livrant leur amour dans une jonglerie
Sublime ; transpirant les rimes, les couleurs
Sous le grand chapiteau accablé de chaleur.
La leçon -l’an dernier- efficace, grinçant ;
Torsions du réel par l’absurde et le sang,
Funeste crescendo du tueur-pédagogue
Glissant sous nos palais les fleurs d’un dialogue
Assassin. Merci donc pour cela, pour la trace
Indélébile que m’a laissé ce Ruy Blas
Qui fit crépiter le théâtre populaire :
Votre Salluste noir, l’impression solaire
Que m’a fait Don César sous les traits de monsieur
Kircher. Ah diable quel Ruy Blas prodigieux !
Mais si aujourd’hui je prends la permission
De transmettre ces mots c’est par déception.
Les tréteaux passeront sous les murs de Claudel
Vendredi, samedi. Sachez que c’est cruel.
Car sous ces vers enflés par la rigueur classique
Se cache un employé vissé à sa boutique,
Un vendeur d’escarpins souffrant la tragédie
De ne pouvoir fuguer que dimanche et lundi.
Certes je le sais bien, le programme est figé,
Les dates sont ainsi je n’y puis rien changer.
Mais je tenais à vous lancer sur le tapis
L’expression puisée à mon humble dépit.
Brangues, dans mon esprit, doucement s’est muée
En balise annuelle où les mots en nuées
Viennent titiller mes pavillons jouisseurs
Cet été n’aura pas son flambeau de douceur
Je dois bien m’y résoudre espérant –en revanche-
Vous y voir l’an prochain sous l’astre d’un dimanche.
Je souhaite également –dans l’émulation
Des vers- vous signifier mon admiration
Pour votre façon de bercer l’alexandrin ;
Cet insecte inouï qui m’anime et m’étreint,
Ce bambin ne prenant son ampleur ciselé
Que par la voix habile à bien le distiller
Ravi de constater que subsiste des bouches
Pour servir les chants de l’oiseau-lyre farouche.
Merci donc pour tout ça, à bientôt je l’espère
Au gré d’une nouvelle envolée littéraire
Et ainsi qu’on le dit galamment au palais,
Sur les planches : Monsieur, je suis votre valet !
Les Avenières, Mai 2015